[Article] Mieux comprendre le dépistage et le traitement du cancer de la prostate avec le radiologue Mathieu Combes
Radiologue spécialiste dans l’imagerie urologique
Dr Combes : Le cancer de la prostate est le cancer le plus fréquent chez l’homme dans de nombreux pays. En France, on estime qu’environ 50 000 nouveaux cas sont diagnostiqués chaque année.
Malgré cette fréquence, il n’existe pas de programme de dépistage organisé pour le cancer de la prostate recommandé par les autorités de santé, comme c’est le cas pour le dépistage du cancer du sein ou du cancer colorectal.
Pourquoi n’existe-t-il par de dépistage organisé pour le cancer de la prostate ?
Dr Combes : Aucune étude n’a établi selon les critères de l’OMS le bénéfice du dépistage organisé du cancer de la prostate pour l’état de santé de la population.
Pour cette raison, en France le dépistage de masse n’est pas recommandé. Il doit être proposé uniquement aux patients dont l’espérance de vie permettrait de bénéficier d’un traitement curatif si un cancer agressif était découvert.
Avec l’évolution des techniques de dépistage, on identifie de plus en plus de petits cancers de la prostate pour lesquels on privilégie désormais une surveillance active, sans mise en place immédiate d’un traitement. La majorité de ces cancers évoluent lentement, ne menaçant ni la vie ni la qualité de vie des patients. Cette approche permet d’éviter des interventions inutiles et leurs effets secondaires, en ne traitant que les cancers qui montrent un réel potentiel d’évolution.
Quels sont les examens de dépistage recommandés pour la santé prostatique et à partir de quel âge ?
Dr Combes : Nous adoptons une stratégie de dépistage et de diagnostic précoce, ciblée individuellement pour les patients présentant des facteurs de risque spécifiques.
Les principaux facteurs de risque sont les antécédents familiaux et l’âge. L’origine ethnique joue également un rôle, en particulier chez les Afro-Caribéens.
Ce dépistage précoce démarre habituellement à partir de 50 ans chez les hommes, car les cancers de la prostate avant cet âge sont rares, sauf dans les cas de formes familiales associées à des facteurs de risque importants. Ce dépistage repose sur deux éléments principaux : le dosage du PSA et le toucher rectal.
Le PSA (antigène prostatique spécifique) est un marqueur sanguin prostatique très sensible mais peu spécifique, ce qui signifie qu’il est souvent élevé en présence d’un cancer de la prostate, mais peut aussi l’être dans d’autres circonstances sans qu’un cancer soit en cause. Par exemple, le PSA peut être temporairement augmenté, par exemple une course de vélo ou après un toucher rectal.
Le toucher rectal est le second élément du dépistage individuel et doit être réalisé par un praticien expérimenté, le plus souvent l’urologue, car les médecins généralistes le pratiquent rarement. En général, c’est le patient lui-même qui initie la démarche en consultant un urologue, parfois de manière proactive dès 50 ans. L’urologue prescrit alors le dosage de PSA, et après cela, effectue le toucher rectal. Ce dernier peut révéler une grosseur suspecte.
En fonctions de ces éléments (PSA élevé et / ou toucher rectal anormal), une IRM multiparamétrique peut ensuite être réalisée, permettant de confirmer les anomalies et de guider la suite du diagnostic, qui comprend la biopsie prostatique.
Qu’est-ce qu’une IRM multiparamétrique, et pourquoi est-elle réalisée avant une biopsie ?
Dr Combes : Il s’agit d’une technique relativement récente, développée spécifiquement pour l’imagerie de la prostate et reconnue par les urologues. Le terme « multiparamétrique » signifie que plusieurs séquences d’IRM (T2, diffusion, et après injection de gadolinium) sont utilisées pour décrire les lésions et les inclure dans le score PIRADS. Ce score va de 1 (pas de lésion) à 5 (suspicion très élevée de cancer).
L’IRM est réalisée avant la biopsie pour mieux orienter celle-ci. Deux cas de figure se présentent généralement :
Dans le premier cas, le taux de PSA est très élevé et le toucher rectal est anormal. Dans cette situation, l’urologue suspecte déjà fortement un cancer de la prostate. L’IRM sera donc utilisée pour confirmer la présence de lésions et pour évaluer l’étendue de la maladie. Par ailleurs, elle permettra de localiser précisément les lésions, optimisant ainsi le ciblage des prélèvements lors des biopsies. Ce cas de figure est le plus simple.
Le deuxième cas de figure survient lorsque le taux de PSA est élevé mais que le toucher rectal est normal. Dans ce cas, l’urologue ne peut pas déterminer si l’augmentation du PSA est due à un cancer prostatique ou à une autre cause. Il arrive que le taux de PSA soit élevé sans que la raison en soit clairement identifiée. Dans ce contexte, l’IRM a un double intérêt.
Premièrement, elle permet de mesurer avec précision le volume de la prostate, ce qui permet de calculer la densité de PSA (rapport entre le taux de PSA et le volume prostatique). On sait que, au-delà d’une certaine densité, le risque de cancer de la prostate est significatif, ce qui pourrait motiver l’urologue à réaliser des biopsies, même en cas d’IRM normale.
Le deuxième intérêt de l’IRM est la possibilité de réaliser une cartographie précise de la prostate et de localiser les lésions cibles, en utilisant une classification standardisée, le score PIRADS.
Un score de 1 signifie une prostate normale, 2 indique une anomalie bénigne, 3 une lésion indéterminée, 4 une suspicion de malignité, et 5 une suspicion très élevée de cancer.
Ainsi, pour tout score PIRADS de 3 ou plus, une indication de biopsie prostatique est recommandée. Les biopsies seront alors à la fois classiques et ciblées en fonction des résultats de l’IRM.
Quel rôle joue l’IRM dans la réalisation des biopsies prostatiques ?
Dr Combes : Avant le développement de l’IRM multiparamétrique, les biopsies prostatiques étaient réalisées sans ciblage. La prostate étant un organe relativement petit, on la divisait généralement en six secteurs, avec deux prélèvements par secteur, soit un total de douze biopsies, ce qui était considéré comme un échantillonnage représentatif de l’état de la prostate.
Lorsque le toucher rectal révélait une anomalie, les médecins ajoutaient des prélèvements supplémentaires dans les zones les plus suspectes, augmentant ainsi les chances de détection.
Aujourd’hui, grâce à l’IRM, nous sommes en mesure de visualiser des lésions qui, dans la plupart des cas, ne sont pas visibles à l’échographie, l’outil habituellement utilisé pour guider les biopsies. Désormais, nous disposons d’échographes capables de superposer en temps réel les images d’IRM aux images échographiques, ce qui permet de réaliser des biopsies ciblées avec fusion d’images.
Cette technique optimise la précision et l’efficacité des biopsies prostatiques, en ciblant avec une grande pertinence les zones à prélever.
Pourquoi l’IRM est devenue plus précise et qualitative ?
Dr Combes : De nombreuses publications ont démontré l’intérêt de l’IRM pour le diagnostic des petits cancers de la prostate, et la formation des médecins dans cette pratique a permis de valider et de faire avancer le processus. Un élément clé de cette avancée est l’utilisation du score PIRADS, qui harmonise l’interprétation des IRM. Tous les radiologues formés utilisent désormais ce même système, créant un langage commun avec les urologues. Cet aspect est fondamental, car il a permis de crédibiliser l’IRM et de favoriser son développement.
Les urologues ont désormais une confiance accrue dans nos comptes rendus, qui sont standardisés et uniformisés. Cela garantit une interprétation de qualité constante, facilitant le dialogue et la prise de décision clinique.
Par ailleurs, la qualité des machines et des images a également beaucoup progressé, notamment grâce aux avancées en intelligence artificielle. Ces nouvelles solutions permettent d’obtenir des images de meilleure qualité et offrent une aide précieuse au diagnostic.
Comment s’organise la collaboration entre radiologues et urologues dans le diagnostic et la prise en charge du cancer de la prostate ?
Dr Combes : Chez IMASUD, nous avons des radiologues spécialisés dans l’interprétation des IRM prostatiques. Ces experts collaborent étroitement avec les urologues, qui sont souvent les premiers interlocuteurs des patients pour les orienter vers une IRM prostatique en vue d’une biopsie éventuelle. L’urologue prescrit ensuite la biopsie en cas de suspicion, renforçant ainsi le travail en équipe entre radiologues et spécialistes.
Dans le contexte du dépistage du cancer de la prostate, l’absence de dépistage de masse implique une organisation en réseau. Nous travaillons en étroite collaboration avec nos correspondants au sein des établissements partenaires. Chez IMASUD, nous réalisons des biopsies prostatiques assistées par fusion d’images grâce à des échographes de haute précision. Ces biopsies sont pratiquées soit sous anesthésie locale dans nos cabinets, soit en salle d’opération avec les urologues sous anesthésie générale pour certains patients.
Notre équipe se compose de radiologues spécialisés, notamment Trevor La Folie, Benjamin Coquard, Fabrice Sbardella, Pascal Kbaier, ainsi que moi-même. Une fois le diagnostic établi, les cas confirmés de cancer de la prostate font l’objet de discussions en Réunion de Concertation Pluridisciplinaire (RCP), qui a lieu toutes les deux à trois semaines. Ces réunions permettent d’échanger nos expertises en imagerie pour affiner les stratégies de prise en charge.
Après le diagnostic et le traitement initial, certains patients bénéficient d’un suivi à long terme, notamment via l’IRM multiparamétrique permettant de suivre l’évolution des patients sans nécessiter de biopsies répétées.
En RCP, pour des petits cancers non agressifs, nous évaluons avec les urologues si une surveillance active peut être recommandée, sans recourir à un traitement immédiat. Cette surveillance inclut l’évolution du taux de PSA, des modifications au toucher rectal, et le suivi par IRM des lésions en termes de taille, d’apparition de ganglions ou de nouvelles lésions.
En fonction de ces éléments, si un changement significatif est observé, le patient peut alors passer de la surveillance active à un traitement adapté.
L’adénome ou hyperplasie bénigne de la prostate est également une affection courante. En quoi se distingue-t-elle du cancer de la prostate ?
Dr Combes : Il existe souvent une certaine confusion à ce sujet. L’hyperplasie bénigne de la prostate est, comme son nom l’indique, une pathologie bénigne, donc ce n’est pas un cancer.
Contrairement au cancer de la prostate, qui est le plus souvent asymptomatique (ce qui justifie le dépistage chez les personnes sans symptômes), l’hyperplasie bénigne de la prostate, elle, provoque des symptômes bien connus, surtout chez les hommes de plus de 50 ans.
Ces symptômes incluent une diminution du jet urinaire, la nécessité de forcer pour uriner, une fréquence urinaire accrue, des gênes dans la vie quotidienne et des réveils nocturnes.
Tous ces signes sont des indicateurs d’une hypertrophie bénigne de la prostate, liée à une augmentation de volume de la glande prostatique autour de l’urètre, qui entraîne divers symptômes fonctionnels. Chez certains hommes, ces symptômes peuvent être très invalidants et nécessitent une prise en charge, d’abord par des traitements médicaux, puis, si besoin, par des options chirurgicales ou radiologiques.